Les adresses de Yumiko Ikunai
Régulièrement vous me demandez de bonnes adresses sur Tokyo. Voici les adresses que m'a confié mon amie Yumiko Ikunai. Elle appartient à la nouvelle génération des critiques gastronomiques. Auteur de plusieurs ouvrages, elle est indépendante et travaille régulièrement pour Casa Brutus, le Wallpaper japonais.
CUISINE KASEKI
Sekihotei. Dans cette maison à deux niveaux, on trouve le vrai dépaysement (joli jardin intérieur) avec une cuisine japonaise distinguée. Salons et geisha ; comptoir face au chef (Kappou). Menu kaiseki (succession de petits plats raffinés) avec un chef réputé pour sa sensibilité et la saisonnalité de ses menus. À Aoyama, Sekihotei, 3-1-14 Jungumaen, Shibuya-ku (81-3.54746.6889) ; comptez 100 €. Akasak Kikunoi. Digne de la cuisine de Kyoto. Parfait pour un dîner. 6-3-8 ; Akasaka, Minatu-ku (81-3.3568.6055). 100 €.
SUSHI
Kozasa Sushi. Le chef est ici silencieux (sa femme chaleureuse), ce qui ne l’empêche pas de sortir de fameux sushis edomae (Edo est l’ancienne capitale du Japon) avec l’été venu, des compositions avec des petites aloses (shinko). Très plaisant, tout petit (juste dix places). À partir de 120 €. A 8-6-18 ; Chuo-ku, Ginza, (81-3.3289.2227).
SOBA
Hosokawa. Délicieuses soba (nouilles très fines de blé noir) aux fumets exquis. 80 €. Proche dumusée Edo-Tokyo, à Ryogoku (81-3.3626.1125).
Sushi Sho. Ici officie M. Nakazawa, grand maître du sushi, célèbre pour une façon très personnelle de travailler avec différents riz sollicitant des vinaigres variés (notamment le akazu parfait pour les poissons huileux et forts. Passionnant. À partir de 150€. Yorindo Building 1F ; 1-11 Yotsuya, Shinjuku-ku (81-3.3351.6387).
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TOKYO Juin 2008
Akihabara, il était moins deux...
Pétard de prusse, la lame n'est pas passée loin. Ce dimanche matin, avec Minh, on devait se retrouver à midi pile à Akihabara à Tokyo. Minh est un dingo d'électronique et en la matière, il promettait de m'en montrer un rayon. En plus, le quartier est super question mangas, otakus, jeux vidéos et autres meide cafés où les serveuses sont déguisées en servantes... A onze heures, j'appelle Minh. Je ne sais pas ce qu'il fabriquait mais il se la joue voix au ralenti. Il était malade. Il annulait. Zut de zut, j'y suis allé et en cours de route, j'ai préféré me rabattre sur l'incroyable Big Camera, fantastique magasin d'électronique, mais plus prévisible dans le genre. En ressortant, la ville était sous le choc: un type armé d'un couteau venait d'être pris d'un coup de folie meurtrière à l'endroit pile de notre rendez vous. L'agresseur, un homme âgé de 25 ans, originaire de Shizuoka (centre du Japon), a déclaré à la police qu'il était «fatigué de vivre». Conduisant un camion de location de deux tonnes, il a foncé dans la foule puis est sorti avec son couteau. Bilan sept morts et une quinzaine de blessés. C'est curieux la vie. Elle est si fragile, volette, s'arrête, reprend. Fauche ici et là. S'en va ailleurs. Du coup, je somatise par une angine carabinée. Je n'ai plus envie d'avaler les nourritures.
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Apprendre le thé
Temps superbe, un peu lourd, décalage horaire effroyable mais bon, au bout du rouleau, il y a une ville plus cinglante que jamais, limpide dans ses civilités, rassurante et douce. Premier jour, une leçon à l'école du thé. J'ai été un peu perdu au début, les gestes, les postures, les salutations. On a l'impression d'être sot (on l'est). Et ensuite, les gestes arrivent: on apprend à faire mousser le matcha. La tête peut être contente des mains. Comptez 5000 yens la séance d'initiation. Inoubliable. (photo F.Simon)
TOUSANKI 4-28-25 minamiaoyama minato-ku TOKYO JAPAN 107-0062 TEL 03-3498-5600 / FAX 03-3498-5625
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Bon, ça n'a pas tardé. Des l'arrivée, le soir même, à table. Du moins au comptoir d'un restaurant impeccable, à Azabu. Ca s'appelle Kamiya (03.3475.0887) et présente la particularité d'être tenu par des femmes. Elles sont donc là s'affairant et surtout délivrant un remarquable menu facturé 8500 yens, ce qui est une véritable affaire. Sur la photo, une sorte de croutsillant constitué avec un fromage tendre. (photo F.Simon)
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L'OSIER, l'assurance par les étoiles
Depuis que Bruno Ménard a décroché trois étoiles au Michelin Tokyo pour le restaurant L'Osier, à Ginza, sa vie, on l'imagine, a bien changé. Il a surtout gagné de l'assurance. Celle là même qui lui permet de décrocher des plats comme ce porc élevé au vin de Kochu. Il l'a fait cuire pendant 24 heures sous vide à 59°C puis rôti à la cocotte, déglacé dans un sirop au poivre de Penjab (Terres d'aventure). Belle clarté, fondant, pas donné non plus: 7500 yens dans ce restaurant de haut luxe qui bénéficie du service de ...trois sommeliers.
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Deux coups de coeur
De ce voyage, je suis resté plusieurs fois étonné par des repas singuliers. Pourtant chaque jour, ça y allait. Avec le décalage horaire et une obstination de mon corps à ne pas se plier aux lunes et aux soleils, je suis resté cependant suspendu par deux repas. Celui tout d'abord, à Osaka, avec le chef Nakamura. Grace à la gentillesse de Dominique Corby (voir son blog), j'ai eu le privilège d'assister à son premier repas de sa nouvelle adresse. Nous étions quinze. L'extérieur de la maisonnette était couvert de bouquets de fleurs. Pendant deux heures, ce fut un festival de bonté et de plats acérés: petites salades, sashimis, sushis, bouillon, viandes...Lui était là rayonnant, comme transcendé. (06.6738.0515; demandez impérativement le plan au concierge de l'hôtel).
Deuxième choc, à Tokyo, An, dans Roppongi Hills (03.5772.0067). Il s'agit là d'une annexe de la célebre adresse de Kyoto. Là aussi, j'y allais à reculons. La fatigue et le knout luxueux de ces centres commerciaux (impressionnant toujours de modernité et d'efficacité). et puis, tout s'est lentement désagrégé. Sake aidant, des lucioles me sont montées dans les yeux: il y avait là un aileron de requin dans un consommé de tortue ou encore des ays, une soupe d'ormeau au gingembre, un blanc manger au matcha... J'en suis ressorti à reculons. Superbe travail du chef Yasuo Kida. Addition effrayante, nous étions trois, nous avons divisé par deux: 42 OOO yens pour ma pomme.
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John Lennon à Karuizawa
Petit saut à Karuizawa, au nord ouest de Tokyo. Une heure de shinkansen suffit pour rejoindre ce village de montagne qui est un des lieux qui m'est le plus cher au monde. Non seulement la mère de mes enfants y est née, mais il y aussi un séjour qui me toubla plus particulièrement. Lorsqu'au hasard d'une discussion avec le directeur de l'hotel Mampei, j'ai appris que l'idole de ma jeunesse, John Lennon, y avait séjourné... Un jour de l’été 1976, le téléphone sonne à l’hôtel Mampei. Madame Ono annonce à monsieur Sato Yasaharu, le directeur, que sa fille, son gendre et son petit-fils, viendront passer l’été à Karuizawa. Quelques jours plus tard, deux camionnettes de valises stationnent devant l’hôtel . Arrivent John Lennon Yoko Ono et leur fils, Sean. John Lennon adorait aller sur le lac Shiozawa avec Yoko. Il se levait alors dans sa barque et criait comme mille. Il allait également à la boulangerie française, achetait sa baguette. Elle est toujours en vente aujourd’hui, sur un panier, il est inscrit : ceci était la baguette préférée de John Lennon. A l’hôtel Mampei, sa chambre est située au-dessus de la réception (la 180). Mais ce fut aussi la 280. Lorsque vous y séjournez, rien n’a changé dans ces atours vintage. Prenez ce fauteuil aux bras immobiles. Allumez le lampadaire.Attendez. Baladez votre regard sur cette étrange banalité, la salle de bains en préfabriqué, la moquette couleur framboise écrasée, le feuillage des arbres... On comprend alors qu’il fut enchanté par la neurasthénie sépia de cet hôtel antique construit au début du XXeme siècle. On l’imagine déambuler dans cet univers nippo-britannique avec ses vérandas, ses fauteuils Chesterfield, les atmosphères retenues, faussement fanées. De ces moments heureux, ceux là même qui ne laissent aucune trace, aucune cicatrice, les biographies restent muettes sur le chapitre, jetant leur poignée de points de suspension. A quoi bon, les scènes suivantes et précédentes sont gorgées de riffs et de cris. Lorsqu’il salua la patronne du café dans le bois de Minami-hara, Rizanbô, après avoir pris un ultime jus de groseille, il lui avoua être impatient de retrouver New York pour terminer son album Double Fantasy. Le 8 décembre de cette même année, il était abattu devant son domicile new-yorkais. Lorsqu'on l'interrogeait sur cette époque de sa vie, il appelait ce temps passé à Karuizawa, celui du "silence de l'amour".
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Dans ce déluge de diners savoureux et dans le brossage du décalage horaire, parfois, on a envie de quiétude, de poissons frais, d'un peu de riz...Les départements alimentation des grands magasins sont fantastiques pour cela. Pour une poignée de yens, un petit plateau à emporter. Quelle chance, c'était parfait. Qui a dit qu'on se ruinait à Tokyo pour déjeuner?
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Tokyo, le choc Michelin !
En attribuant 191 «macarons» à la capitale du Japon, le Michelin a frappé un grand coup dans l’ordre mondiale gastronomique. Depuis quelques mois déjà, le monde de la gastronomie était à l’écoute des bruissements de la sortie du guide Michelin consacré à Tokyo. Des bruits circulaient sur les éventuels restaurants promus mais personne n’imaginait la déflagration qu’allait causer ce lundi la publication des résultats. Pour la première fois depuis 108 ans d’histoire du fameux guide français, la totalité des
150 restaurants sélectionnés (60% de restaurants japonais, et 44 restaurants de cuisine française) ont reçus au moins une étoile dans cette édition disponible ce mercredi en anglais et en japonais. C’est bien simple, Tokyo se voit recevoir la bagatelle de 191 macarons alors que Paris culmine à 97 et New York à 54. « C’est grâce à la qualité si incomparable des produits utilisés, à déclaré Jean Luc Naret, le directeur des guides, aux techniques de cuisson employées, à cet héritage et à ces traditions culinaires transmis de génération en génération et qui continuent de se développer grâce au talent des chefs, que le guide offre une sélection des restaurants tous étoilés». Déjà, la presse anglo-saxonne envoie ses jets acides. Le Guardian s’interroge sur la « gifle » donnée à la France. En fait, il faut lire dans cette publication, la lente mutation de l’ordre mondial gastronomique. Paris, on le sait, n’est plus la capitale mondiale de la gastronomie depuis une décennie parce que la gastronomie locale aussi brillante soit elle, est lestée par une tradition que le monde entier nous envie. Pourquoi changer alors que la blanquette de veau, le pot au feu et le steak frites sont des plats épatants?
La novation avance paisiblement au bord de la Seine parce que le public est ravi du menu et que les touristes pléblicitent cette cuisine traditionnelle. Pendant ce temps là, des pays et des villes moins lestés par cette exquise lenteur, font des étincelles. Londres devient une lieu majeur des restaurants avec sa façon de le traiter comme un loisir un entertaiment, New York se chauffe de la même fibre et partout dans le monde (Séoul, Istanbul, Sydney, Osaka…) la scène gastronomique pétille d’audaces et d’avancées. Alors pourquoi Tokyo et ses 33 millions d’habitants ? Tout simplement parce qu’il y a dans cette ville une attente énorme en matière de gastronomie, vécue parfois comme une religion. Cet univers fascine les habitants qui sont près à faire trois heures de queue pour le chocolat chaud de Jean Paul Hevin, autant pour l’Atelier de Joël Robuchon. Prenez le marché aux poissons de Tsukiji, le plus gros marché au monde et vous aurez une idée de ce qui se trame dans cette ville hors d l’ordinaire. Dans une atmosphère entre Zola et George Orwell, 60 000 personnes courent dans tous les sens, échangent dans l’adrénaline 2, 5 millions kilos de poissons par jour (Rungis c’est 255 tonnes par jour). Au magasin Isetan, alors qu’une gare comme Saint Lazare brasse 200 000 personnes par jour, ici 3 260 000 visiteurs carbonisent les chiffres d’affaire. En matière de restaurants, c’est un peu la même folie, la ville réunit prés de 138 000 adresses (Paris : 12 500). Ici, vous pouvez trouver de tout. Des meilleurs croissants au monde en passant par les meilleurs pizzas de la terre. Sachez qu’à Tokyo, on ne parle pas de restaurants italiens. Mais sarde, napolitain, toscan, sicilien… On l’imagine, avec leur propre cuisine, les Japonais n’y vont pas avec le dos des baguettes. Plutôt qu’une organisation pyramidale comme en Occident, ici, chaque spécialité désigne un style de restaurant (kaseki, sushis, ramen, soba, udon, yakitori…). Du coup dans chaque catégorie, le niveau excelle. Ajoutez à cela une curiosité sans fin des Tokyoides pour tout ce qui concerne la nouveauté et ce qui vient de l’étranger, on comprendra pourquoi Tokyo est devenue la ville au monde la plus excitante en matière de produits et de tables. Dans cette mégapole vertigineuse, rien ne peut être comparable aux autres villes du monde; le dernier exotisme se vit ici. Barrière du langage, percussion du scrupule, fascination de la perfection, ivresse de l’excellence, on est loin des clichés d’un Japon menotté dans l’imitation.« Lorsque le maître est devant moi, dit on ici, je monte sur ses épaules». Avec cinq inspecteurs, le Michelin s’est donc attelé à une tache que l’on estimait comme impossible. Beaucoup était sceptique dans ce rangement discutable et de vifs débats animaient les chefs, les critiques et les bloggeurs. Le guide rouge n’est pas rancunier pour autant puisqu’un des chefs qu s’était le plus vertement rependu en critiques contre le guide, Yoshijazu Ono, voit son restaurant «Sukiyabashi Jiro» décrocher les trois étoiles, il rejoint sept restaurants à cette distinction dont le restaurant de Joël Robuchon (dont le score passe à 17 étoiles dans le monde) ainsi que celui de Bruno Ménard à l’Osier ou encore Quintessence, restaurant d’inspiration française (école Astrance ; Paris). Le monde change et le message de la ville de Tokyo est clair; une cuisine est forte lorsqu’elle se nourrit des autres cuisines (Paris a encore beaucoup de progrès à faire dans ce sens). Une culture forte n’a jamais peur de se laisser envahir et enrichir. _________________________________________________________
Voyage au Japon: Hiramatsu, 1er jour
C'est parti pour une quinzaine de repas au Japon. Ce soir, Hiratmasu (Minami-Azabu; www.hiramatsu.co.jp/). Histoire de mieux comprendre ce restaurant, j’avais fait juste avant de partir le même repas, à Paris (rue de Longchamps, 75016) . A chaque fois, je me suis senti gêné par le malentendu cette cuisine qui à force de trop vouloir prouver s’embarque dans l’effet et l’illusion. Il y a ici comme une sorte de simulacre.C’est dommage car il y a ici une volonté très forte d’être le meilleur, ce qui n’est pas en cuisine le meilleur chemin. Mieux vaut être bon et moins fameux. L’entrée de jardin printanier avec asperges et jambon et calamar est jolie, savante mais en bouche, il n’y a pas de vrai propos. Le pigeon au vanille, épices et chocolat procède de la même complication. Le pigeon disparait totalement sous ce qui est sensé le mettre en valeur. Le plat est monté à l’envers. En fait, on s’aperçoit que la cuisine de ce restaurant est une cuisine de posture, qui prend la pause. Il manque cet humanisme, cette fibre touchante de la gastronomie.Ce restaurant joue au restaurant français avec beaucoup de talent, mais cela ne suffit pas d’imiter. Je pourrais être chanteur de rock and roll, ce n’est pas si compliqué. Mais il me manque la colère, la rébellion : et cela ne peut pas s’inventer, encore moins se copier. Les additions sont ici en tout cas très rock and roll (violente) les cafés aussi, on pourrait presser un jus de billets de 10 000 yens, ce serait plus simple et plus drôle.
Tokyo, 2eme jour: la bonne surprise de L'osier
Yoshimi m'avait promis une jolie bonne table. C'était l'Osier, à Ginza avec en cuisine Bruno Ménard. J'étais déjà passé il y a quelques années lorsque c'était un peu l'institution versaillaise: foie gras, caviar, langouste, truffe... Ca n'a pas changé mais il y a un peu plus de malice et d'entrain avec des plats délurés comme cette truite du mont Fuji avec de l'huile d'Argan et de la purée de noix de Macadam ou encore ce pigeon en croute d'épices avec citron, jeunes pousses de bambous grillés et un jus à l'huile de gingembre. Sommelerie impressionante (il y a ici 4 sommeliers pour une trentaine de couverts!). Soirée franchement plaisante avec pour terminer un dernier verre dans une énoteca, Implicito, à Shibuya. (www.shiseido.co.jp/losier). Soirée franchement plaisante avec pour terminer un dernier verre dans une énoteca, Implicito, à Shibuya. Ah oui, j'ai découvert deux produits: un vinaigre de cacao réalisé par bruno Ménard avec Weiss et du sel de soja... Demain, Troisgros et Gagnaire. Puis Bocuse au musée d'Art moderne. Photo/F.Simon
3eme jour: la schizophrénie Gagnaire
Ce soir, gros légume au programme: Pierre Gagnaire. Pierre Gagnaire. Pour être sincère, c’est mon chef préféré. C’est une cuisine de doute, de peur, de schizophrénie. Tout à coup, la cuisine se fend, ouvre son cerveau. Les plats partent dans tous les sens. On dirait parfois que Pierre Gagnaire vient juste d’assister à un accident. Il raconte tout avec la furie des mots, leurs répétitions. Son entrée de légumes, l’une des plus simples pourraient être divine dans sa tourte feuilleté avec morilles et petits oignons. On la découpe devant vous. Mais à côté, des petites verres, des assiettes apportent un autre écho légumier (bonne chantilly de roquette); cela impressionne, ouvre le champ de réflexion mais pas forcément l’appétit . Connaissant la structure pharaonique de ces repas, j’avais demandé à ne pas prendre d’amuse bouche. Pourquoi ? Au restaurant, pour moi l’appétit est sacré. Lorsque j’arrive, j’ai faim ; je n’ai pas besoin que l’on amuse ma bouche, ni ne la fasse patienter. J’ai faim de ce que j’ai commandé. Pas de ce que le chef pense pour moi. J’ai donc attendu 75 minutes après mon arrivée avant de savourer ce que j’avais choisi. Ensuite, la sole procède de cette audacieuse construction. C’était drôlement bien ; puisque ses associations sont passées de la texture de la sole à l’avocat en passant le céleri, asperges, épinards et… banane et citron. Ce plat était réussi. Le dessert a repris les incantations de Gagnaire, occuper l espace de peur que celui-ci se dérobe. Partout des desserts avec notamment le dessert commandé, un exquis soufflé à la vanille. Le bombardement continua jusqu’à une addition elle aussi solidement nourri de yens. Dans l’entrée du restaurant, on nous offrit encore une petite boisson d’adieu. En ouvrant la porte du taxi, j’ai eu peur un instant qu’il y ait sur le fauteuil des galettes et des crèmes au grand marnier, vodka, whisky, gin, sake, chouchen, champagne, mezcal, armagnac, sirop d’érable, cassonade.
Tokyo, 4eme jour: l'entrain Troigros
Ce n’est jamais un cadeau d’être le fils et le neveu des frères Troisgros. Souvent, on passe sa vie à remonter le fleuve, à justifier sa filiation. Michel Troisgros aura sans doute souffert de cette proximité, mais en même temps, il bénéficia d’une accélération de carrière phénoménale et notamment du rapport très fort que son père (Pierre) entretenait avec le japon. Enfant, il fut stupéfait de voir son père descendre du train déguisé en samouraï. Il revenait du Japon avec dans sa valise des produits, des herbes, des épices... Aujourd’hui, sa cuisine reste marquée par cette touche. Dans son restaurant de Paris par exemple (la maison mère est toujours à Roanne), il développe se métissage de goûts avec réussite. Bien sur, cela fait des réussites comme ses lamelles de saint pierre à la moutarde ou encore ces cuisses de grenouille très décorative. Seulement, parfois, dans ce mouvement d’exotisme graphique, on en vient à estomper les gouts (trop de cumin sur les cuisses de grenouille), voire minimaliser les intitulés comme cette pastilla d’oignon avec le pigeon qui n’a rien d ‘une pastilla (un des plus beaux plats au monde, d’origine marocaine). Tous les plats sont ainsi «revisités» avec des contrepieds étonnants comme sur cette création de café et de whisky. Elle était en elle-même fort réussie mais le serveur servie une crème de citron. C’était étrange, pas mal, «intéressant» comme l’on dit lorsque on ne sait pas si c’est bon ou mauvais. Dans l’ensemble, il y a dans cette cuisine un amusement communicatif, celui sans doute d’un fils qui voudrait amuser son père,- le tuer gentiment au passage- et proposer une cuisine mature, décalée, étirée entre deux continents.
4eme jour: Midtown, humpf!
Juste avant le diner, un petit saut au nouveau méga-complexe urbain, «Tokyo Midtown». Certes, il y a là la plus haute tour de Tokyo (248 mètres) mais aussi 132 restaurants et luxueuses boutiques, dont le premier Ritz-Carlton de la capitale, l'hôtel désormais le plus cher, qui est installé dans les neuf derniers et les trois premiers étages du gratte-ciel. Egalement le nouvel emplacement du musée contemporain Suntory et le premier haut lieu exclusivement consacré au design de Tokyo, le «21_21» conçu par la star de la mode japonaise, Issey Miyake et le non moins célèbre architecte Tadao Ando. Une nuit dans une suite de 300 m2 du Ritz-Carlton, au sommet de la tour centrale et avec vue panoramique sur le mythique Mont Fuji, est offerte pour la bagatelle de 2,1 millions de yens (13.600 euros). Promenade dans l'allée gourmande avec cote à cote: Jean paul Hevin, Aoki, Dean and deluca, Be...Le tout enrobé de prévenance, de haute sécurité et de bois blonds.
5eme jour: Calandrino et la femme triste
Pendant tout le repas passé au Calandrino, près de Tokyo central, il y avait dans mon axe de vue une femme que son amant ,ou son mari, traitait avec dureté. Sa mèche noire la protégeait des fureurs rentrées de son homme et masquait une peine évidente. Le reste du repas avait finalement peu d'importance avec une entrée bizarre: des spaghettis frits hérissés autour d’un scampi, comme si le chef avait voulu marquer son territoire, rendre l’accès à son talent délicat et surtout vous mettre en situation embarrassante (ça tombe partout sur la table et sur vos vêtements). Le reste correct avec heureusement un vrai dessert généreux (une sorte de capuccino à la creme et au café) pour réconcilier avec l'Italie. Gentiment surcoté (www.ilcalandrino.jp)
5eme nuit. Soirée kimono au Velours
Ce soir, il y avait entrée gratuite au nightclub le Velours (www.velours.jp) pour les jeunes femmes qui venaient habillées en kimono. Ambiance trouble avec les expats en repérage et les kimonos à découvert. Suis reparti pas trop tard, après le champagne tiède, car ce matin, il y avait un vol pour Osaka...
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Vous vous demandez pourquoi aller au Japon pour ne manger que dans des restaurants français...Vous avez raison. La raison est simple. Le prestigieux magazine Casa Brutus m'a convié pour tester seize restaurants étoilés européens à travers le Japon. Voila pourquoi chaque jour, je visite ces fameux restaurants avec des aventures plus ou moins heureuses. Cela dit c'est passionnant, parfois édifiant. Mais promis, je vous redonnerai des adresses japonaises car je reviens faire un tour dans un petit mois. Aujourd'hui, on peut remercier Miho d'avoir attendu deux heures (!) pour décrocher une table au bistrot de Paul Bocuse. Cela dit, pour un musée d’art moderne, c’est tout de même assez paradoxal d’avoir choisi Paul Bocuse, 82 ans, pour animer un espace aussi contemporain. Non point que sa cuisine ne soit pas à la mode, mais elle est datée avec toute la nostalgie et l’exotisme que cela peut apporter. La cuisine de Bocuse est en quelque sorte une cuisine de musée, celui des années 60. Pour 2500 yens, le repas est correct mais je n’ai senti aucune vraie vibration, si ce n’est celle d’une cuisine de brasserie qui n’a rien à voir avec Paul Bocuse et sa belle cuisine savoureuse et sentimentale. Même Beethoven s’il faisait le jingle de la météo pour la télévision serait plus présent. Car combien de pourcentage de Bocuse y a -t-il dans la salade du marché avec les copeaux de parmesan ? Rien à part ses logos imprimés sur la serviette et un peu partout dans le restaurant. La salade tournait convenablement avec en vedette une tomate de Chikoku très gouteuse. Ce n’était pas le cas du poulet (de Iwate)sans vraiment de saveurs mais sauvé par des amandes grillées (bizarre pour une recette de Lyon) et un très discret gratin à la lyonnaise . J’espère que la crème brulée «spéciale Paul Bocuse» n’était pas la crème de Paul Bocuse : car elle manquait de relief, d’épaisseur, de crème, de chaud/froid et la portion était tellement petite que la croute de sucre caramélisé touchait presque le fond de l’assiette. En somme un repas (très) moyen dans un lieu fantastique. Mieux vaut aller (bien) déjeuner ailleurs, avec moins de gens, moins d’attente et probablement plus de plaisir.
6eme jour, l'Atelier de Joel Robuchon
Le voyage continue avec des hauts et des bas. Aujourd'hui, au déjeuner, à Tokyo, petite visite plaisante à l'adresse de Joel Robuchon. On retrouve le même esprit parisien à Roppongi Hills. Un service au comptoir avec les cuisiniers habillés de noir (si triste !) travaillant derrière. Ils sont tous japonais mais disent régulièrement «oui chef !», histoire de donner un peu de couleur locale. Le principe de l'Atelier est simple : les plats sont travaillés devant vous (en fait, la cuisine est un peu plus en retrait) et vous dégustez des petites portions de plats dans l'esprit des tapas espagnoles. C'est simple, bon et ne fait pas travailler trop l'esprit. Voila pourquoi cette formule marche. On est loin bien entendu de l'esprit de Robuchon qui lui était un chef très technique, presque maniaque, prussien dans sa façon de travailler. Ses plats étaient comme une horlogerie suisse avec une esthétique très fixe, presqu'immobile On en est donc loin avec ce gaspacho à la tomate et ses croutons désarmant de simplicité. En fait j'avais commandé des asperges avec des lamelles de saint jacques qui avaient l'air d'être très bonnes. Ce n'est pas grave. Ce genre de faute peut arriver partout et cela ne signifie rien sur la qualité du service courtois et souriant. Dans un grand restaurant c'est une vraie erreur, ici (il s'agit d'un snack de luxe) c'est une touche humaine, qui à la limite, rassure. Le reste du repas était fort correct avec du bar poêlé et ensuite un fromage blanc plaisant avec un coulis de fruit rouge. C'est un peu cher, mais l'ensemble reste convenable avec un bon esprit gourmand. Il n'y a rien à dire, ce qui peut paraitre troublant.
Tsukiji, le plus fou des marchés de poissons au monde!
Ce matin petit saut dans un lieu des plus incroyables de la terre: le marché aux poissons de Tsukiji. Cet endroit est d'une densité stupéfiante. On a l'impression que tous les océans du monde se sont déversés ici. Entre Zola et Frankenstein, une féérie qu'il vous faut absolument visiter. Ce qui est incroyable, c'est que tout le monde peut y aller. Attention, ça fonce de partout! Après petits sushis dans les multiples comptoirs du quartier. Fascinant!
7eme jour: la douceur de Narisawa
Par chance, dans ce périple, on m'a aménagé des restaurants comme ces Création de Narasiwa (www.narisawa-yoshihiro.com), à Tokyo, dans le quartier de Aoyama. Autant vous l'avouer, depuis le début de ce séjour, il manquait à ces expériences gastronomiques un élément important. Partout cependant, la cuisine était sérieuse, voire excellente mais bien souvent, il y avait comme un vide, celui laissé par le grand chef, très présent sur les cartes et les prix mais absent dans l'assiette. Bien sur, il y a un chef en cuisine, mais c'est un second, voire un troisième ou un quatrième. Le vrai chef pour qui on vient (Ducasse, Bocuse, Gagnaire, Bras, Robuchon...) est ailleurs. Alors lorsqu'on arrive ici, on se sent mieux. C'est irrationnel mais c'est ainsi. La cuisine est faite de cet ingrédient indispensable : la présence humaine. Voila pourquoi, j'ai senti immédiatement un attrait affectif très important pour ces «créations de Narisawa. Pourtant le nom du restaurant est prétentieux (qui «créé» vraiment aujourd'hui ? tout le monde reproduit avec plus ou moins de bonheur), mais les assiettes avaient beaucoup de vivacité et de talent comme un fabuleux homard à la vanille et à la tomate arrivé avec un léger retard. Dans tout autre grand restaurant, on serait contrarié par ce genre d'incident mais ici cela fait presque partie de cette «vibration» tant attendue à une table. Le chef a du vouloir faire encore mieux, délivrer le meilleur de lui-même. Si je devais retourner à Tokyo dans un restaurant d'inspiration française ce serait celui-ci. Peu de couverts, ce qui renforce la qualité d'un service entrainé par la femme du patron. Toujours des instants touchants, lorsqu'au dessert, Taeko se demande ce qu'elle va prendre en sixième proposition (mousse au chocolat).